L'ampleur des discriminations, en particulier dans l’emploi, constitue un phénomène paradoxal. Elles font l’objet d’une condamnation unanime, si l’on excepte l’extrême droite xénophobe. Des lois ont été votées et des institutions ont été créées pour les combattre. Leur coût économique est élevé. Cependant, elles persistent à une échelle importante.

Un arsenal législatif

La loi sanctionne tout traitement différencié en fonction de l’âge, du sexe, de l’origine, du handicap, de l’orientation sexuelle, de la religion, de l’engagement syndical et mutualiste ou des opinions politiques. En 2005, est créée la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) qui a la capacité de saisir le Procureur de la République. Ses missions sont transférées en 2011 au Défenseur des droits. De leur côté, les organisations patronales et syndicales signent en 2006 un accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise qui est consacré à la lutte contre les discriminations.

Du point de vue des normes légales et conventionnelles tout semble avoir été fait pour combattre les discriminations.

Un coût économique élevé

Si la condamnation des discriminations relève des valeurs démocratiques et des droits fondamentaux de la personne, il se trouve qu’elles ont, de plus, un coût économique qui devrait renforcer la volonté de les combattre. À l’échelle des entreprises, la discrimination entraîne le recrutement de salariées et de salariés ou leur affectation à des postes de travail qui ne reposent pas sur le critère de leurs performances productives, donc une perte d’efficacité qui est difficile à mesurer mais indiscutable([1]).

À l’échelle macroéconomique, les discriminations réduisent la performance en écartant leurs victimes de l’acquisition de qualifications ou de l’accès au marché du travail ou aux postes de travail qui correspondent à leurs aptitudes potentielles. Malgré des difficultés méthodologiques, un rapport de France Stratégie montre que la réduction des discriminations pourrait, à long terme, assurer une augmentation du PIB de l’ordre de 14 %([2]).

Des discriminations multiformes

Si tous, ou presque tous, semblent s’accorder pour estimer que les discriminations sont moralement condamnables et économiquement inefficaces, si l’État, les acteurs sociaux et les entreprises s’engagent à les combattre, si les tribunaux les punissent, le constat est qu’elles demeurent un phénomène massif.

Quant à l’accès à l’emploi, des expériences de testing montrent qu’en présence de candidatures avec des CV identiques à l’exception d’une seule caractéristique, la probabilité d’obtenir un entretien d’embauche est significativement différente en fonction de l’origine, de la religion, du lieu de résidence et, pour certaines professions, du sexe.

Les statistiques mettent en évidence les mêmes phénomènes pour les taux d’emploi ou les niveaux de salaires. On peut les illustrer par des exemples extrêmes qui cumulent deux facteurs de discrimination([3]). Une femme d’origine africaine a, si toutes les autres caractéristiques sont identiques, un taux d’emploi 27 % plus faible qu’un homme sans ascendance migratoire. Les mêmes inégalités s’observent sur les taux de salaire pour celles et ceux qui sont en emploi.

Le cas spécifique « des discriminations syndicales »

Les discriminations à l’encontre des syndicalistes et surtout des militantes et militants peuvent se manifester soit à l’embauche, soit ensuite en termes de salaires et de carrière, soit enfin lors des licenciements([4]). Longtemps, elles n’ont été connues que par des témoignages ou des enquêtes de terrain. Plus récemment, le contentieux judiciaire s’est développé avec des affaires spectaculaires comme celle qui a concerné Peugeot. Enfin, des analyses statistiques ont permis la mesure de certaines modalités de discrimination. Par exemple, en 2011, les délégués syndicaux ont en moyenne un salaire inférieur de 10 % à celui des autres salariés de même sexe, même âge, même diplôme et même ancienneté dans l’établissement.

Il faut donc se méfier des consensus dans les discours lorsque la réalité est aussi résistante. Il y a là une longue et difficile tâche pour l’action syndicale.

Notes

[1] Jean-Christophe Sciberras, Rapport du groupe de dialogue inter-partenaires sur la lutte contre les discriminations en entreprise.

[2] Le coût économique des discriminations, septembre 2016.

[3] Voir le rapport déjà cité de France Stratégie pour des informations détaillées.

[4] Voir le numéro spécial de la revue Travail et Emploi : « La discrimination syndicale en question : la situation en France », n° 145, janvier-mars 2016.