Les plateformes numériques font l’objet de nombreux débats mais aussi de nombreux fantasmes.
Il y a déjà presque un an, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) remettait un certain nombre de pendules à l’heure.

Quelques chiffres clé :

En 2015, le nombre de salariés directs des plateformes était de 2500, ce qui est négligeable du point de vue de l’emploi total. À titre d’exemple, UBER emploie 120 salariés, hors chauffeurs qui, eux, sont indépendants.

Le chiffre d’affaires des plateformes collaboratives pèse peu dans l’économie nationale. Par exemple, en 2015 (derniers comptes publiés), UBER France faisait 20 Millions d’euros de chiffre d’affaires et employait une soixantaine de personnes. L’entreprise aurait doublé de volume depuis, mais cela reste une PME (Petite et Moyenne Entreprise), même pas une ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire).

Le nombre de travailleurs collaboratifs, c’est-à-dire des personnes qui prestent un « travail » par l’intermédiaire d’une plateforme, est sans doute de l’ordre de 300 000. Mais il ne s’agit pas d’équivalents temps plein. La plupart sont des revenus d’appoint (Airbnb). Le chiffre demeure faible, puisqu’il s’agit d’environ 1% de la population active qui gagnerait un revenu sur les plateformes. Toutefois, ce chiffre n’inclut pas Blablacar. Même aux États Unis, souvent cités comme en avance dans le domaine, la part des travailleurs collaboratifs est du même ordre.

Les proportions de salariés et d’indépendants en France sont assez stables. Le salariat a progressé tout au long du XXème siècle, pour devenir le modèle largement dominant (92,9% de l’emploi en 2001). Il a légèrement reculé depuis à 91,2% en 2015, mais on est loin d’une explosion de l’emploi non salarié annoncée par certains.

Le léger recul de l’emploi salarié s’explique en grande partie par le statut d’autoentrepreneur. Celui-ci a facilité le développement des plateformes en permettant à des personnes salariées, retraitées ou chômeuses de prester quelques heures grâce à ce système. Il a aussi permis un développement de petits boulots d’appoint ou le démarrage de nouvelles activités dans l’économie traditionnelle. Il faut donc beaucoup relativiser le phénomène des plate- formes qui n’est que la partie émergée de la numérisation de l’économie. L’intelligence artificielle va impacter l’emploi dans les banques, le médical, etc. La voiture autonome qui pourrait à moyen terme rendre les chauffeurs inutiles, une nouvelle étape de robotisation de l’industrie vont beaucoup plus transformer l’emploi que le développement des plateformes.
Pour autant, le phénomène ne doit pas être négligé car même s’il ne concerne que 1% de la population et peut- être à terme 2 à 5%, cela représente quand même plusieurs centaines de milliers de « travailleurs » qui sortent en tout ou partie du salariat et des garanties qu’il offre. Les plus gros problèmes concernent la rémunération et la sécurité tant physique que juridique des travailleurs collaboratifs.
Les plateformes collaboratives ne sont donc pas qu’un épiphénomène. Les livreurs en 2 roues, Airbnb, les petites réparations, les échanges de services etc., sans compter UBER tant que la voiture entièrement autonome n’est pas sur le marché, ont un bel avenir devant eux.

Aussi l’IGAS a-t-elle formulé 36 recommandations parmi lesquelles on peut au moins citer :

• Créer un statut spécfique de plateforme collaborative.
• Faciliter le recours au contrat de type « particulier employeur ».
• Autoriser les plateformes à abonder le CPA.
• Offrir à ces travailleurs un droit de rattachement au régime général de la sécurité sociale.
L’adoption de la plupart de ces mesures est donc pour l’UNSA une priorité a n de garantir des droits aux travail- leurs des plateformes.

Par ailleurs, les plateformes peuvent avoir un côté très « vieille économie » en ce sens qu’elles abusent d’un rapport de forces favorable pour capter l’essentiel de la valeur ajoutée. Nous sommes là en terrain connu. Selon le Boston Consulting Group, un chauffeur UBER travaille en moyenne 52 heures par semaine pour 1500€ nets par mois, c’est-à-dire nettement moins que le SMIC. Fin 2016, UBER a augmenté ses tarifs client de 13% mais a fait passer sa commission de 20 à 25%. Résultat sur une course à 100€ qui augmente pour le client à 113€, le chauffeur voit sa rémunération augmenter de 80€ à 84,75€ et UBER voit sa commission passer de 20€ à 28,25€. Le chauffeur a vu son revenu augmenter de 6% et UBER la sienne de 41%. Autant dire que le résultat d’exploitation d’UBER, déjà très positif en 2015, va exploser en 2017. Grand bien lui fasse, si ce n’était au détriment de chauffeurs dont l’exaspération est d’autant plus forte qu’UBER ne dissimule pas l’étape suivante : des voitures sans chauffeur, ce qui maximise le pro t et divise par deux la masse de problèmes : au lieu d’avoir à gérer les chauffeurs et les clients, on n’a plus que ces derniers à satisfaire.

Pour l’UNSA, l’objectif n’est ni de forcer à transformer de force des indépendants en salariés (avant UBER, la plupart des taxis étaient bien artisans) ni d’étouffer sous les règles une économie du partage qui répond à une demande sociale. Par contre il s’agit d’empêcher le choix contraint du statut d’indépendant, d’assurer des droits à la retraite et au chômage à tous ceux pour qui l’économie des plateformes est une source significative de revenu, et enfin de veiller à la sécurité. Pensons en particulier aux coursiers à deux roues qui sont presque tous indépendants et ont une accidentologie très élevée. Mais, comme ils ne sont pas salariés des entreprises de livraison, personne ne paie de cotisations d’accident du travail suite à ces accidents souvent graves. Au final, c’est la collectivité qui assume ces coûts alors que la responsabilité vient des donneurs d’ordres qui imposent des délais de livraison incompatibles avec le respect du Code de la route.
En n de compte, pour l’UNSA il faut que chacun assume ses responsabilités et que tous puissent recevoir une part équitable du revenu généré par les plateformes. Mais le règlement de cette question ne doit pas masquer le chantier énorme de l’évolution de l’emploi induite par le numérique.

Or, ce chantier prend du retard et est trop souvent masqué par des querelles idéologiques sur la transformation du travail.

Pendant ce temps, l’Allemagne travaille sur les emplois de l’industrie 4.0 et demain nous entendrons des lamentations sur le manque de compétitivité de la France. D’une manière très pragmatique, il est donc urgent de travailler au niveau des branches sur les emplois susceptibles de disparaitre, d’être modifiés en profondeur, mais aussi sur les emplois nouveaux. Un récent rapport de France stratégie minimisait les craintes en la matière. Mais il voyait à relativement court terme et n’intégrait pas des secteurs clé comme le transport.
Ceci nous amène à nouveau à poser la question du dialogue social. À l’UNSA, le dialogue social en entreprise fait partie de notre ADN. Union de syndicats autonomes, nous savons le rôle que jouent nos DS en entreprise et l’importance de négocier sur mesure à ce niveau. Mais quand l’évolution technologique impacte les emplois dans toutes les entreprises d’une même branche, on voit bien que c’est à ce niveau que doivent se négocier des accords-cadres de GPEC. Très atone ces dernières décennies, le dialogue social de branche devrait donc retrouver de la vigueur si on veut que les salariés français ne soient pas les perdants du numérique.