Présenté au nom de la section de l’économie et des finances par Guillaume Duval et Pierre Lafont, cet exercice annuel de photographie économique de la France, via les 10 indicateurs établis par le CESE en complément des indicateurs liés au PIB, prend cette année une résonance toute particulière, en soulignant les ambivalences voire les paradoxes du vécu et du ressenti des français, et les risques de césures toujours plus profondes mettant à mal notre pacte social et la construction d’un projet commun. L’UNSA via son secrétaire général Luc Bérille s’est exprimée favorablement aux conclusions de cet avis en insistant sur l’urgence d’un sursaut collectif : la nécessaire construction d’un projet commun intégrant cohésion sociale et politique.

Des inégalités qui sont contenues globalement mais se rigidifient

Notre système de redistribution et de filet social permet de limiter, et en volume et en écart, les inégalités ; et d’éviter plus encore le basculement dans la grande pauvreté de nombreux foyers. Pour autant, cet équilibre est particulièrement fragile et masque une scission plus marquée, et surtout durable, entre ceux qui sont acteurs de leur destin et ceux dont les perspectives semblent éteintes ou sans possibilité d’évolution ou de mobilité ascendante. Cette panne d’espérance dans un futur com- mun est à mettre en parallèle avec la discordance entre le ressenti personnel de sa situation individuelle jugée satisfaisante, où la France se distingue par un degré de satisfaction au-dessus de la moyenne en UE, et une vision d’un futur collectif désenchanté où la France obtient le plus mauvais score sur l’item «sens de la vie». Ces rigidités sociales, y compris sur le long terme, mettent à mal le principe fondateur de méritocratie et fragmentent le corps social, accentuent la peur du déclassement par l’illisibilité des « nouveaux » parcours sociaux, et le poids prépondérant des facteurs cumulatifs d’inclusion ou d’exclusion et d’inégalité (zone géographique, santé, scolarité, patrimoine immobilier et culturel, ...). Les femmes (et plus encore en situation de famille monoparentale) et les jeunes constituent des populations en situation d’urgence sociale, tant les cumuls de précarité les entrainent vers la pauvreté, sans réponse sociale suffisamment adaptée.

L’indicateur d’espérance de vie en bonne santé est particulièrement intéressant et porteur de sens. Il reflète la première promesse de notre pacte social, celle de plus d’équité en termes de santé, de condition de retraite et face à la mort.

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Préconisations :

  • Adopter un indicateur spécifique de la qualification des actifs (mesurer élévation des qualifications par la formation professionnelle et l’expérience, impact sur chômage, ...).
  • Ajouter au taux d’emploi, une approche qualitative de l’emploi.
  • Enrichir l’indicateur d’espérance de vie en bonne santé par des études et méta-analyse notamment sur la « prévalence des maladies chroniques et professionnelles », l’âge de l’entrée en dépendances, niveau des incapacités, inégalités sociales, financières et territoriales de santé.

De fortes sensibilités aux politiques publiques sur de nombreux secteurs et groupes économiques

L’imbrication des politiques publiques et des faits générateurs directs et indirects rend souvent difficile l’évaluation d’une action isolée. Pour autant, un certain nombre d’indicateurs enseigne sur les impacts par sous-catégories de population et révèlent ainsi les inflexions de politiques économiques. À ce titre la question patrimoniale est particulièrement révélatrice, l’immobilier (2/3 du patrimoine détenu) pèse incontestablement trop dans les actifs économiques mais reste le facteur principal de sécurisation et souvent le seul support d’épargne (sans surprises se sont les ménages les plus riches qui ont un portefeuille diversifié, et des actifs financiers dont la part croit avec leur niveau de richesse).
Aujourd’hui, ce sont les 60-69 ans qui ont le plus de patrimoine (6 fois supérieurs au moins de 30 ans, mais baisse après 70 ans). L’UNSA appuie les mesures permettant une meilleure répartition des inégalités patrimoniales, mais aussi d’alléger le poids du logement, par un accroissement de l’offre et par une maîtrise des prix au regard des revenus du travail.
Le cumul des inégalités nécessite une vigilance particulière quant aux politiques économiques et sociales sectorielles pouvant donner lieu à des effets induits d’accès (services publics, énergie, habitat, mobilité, isolement social), et plus encore à l’échelle des territoires où les transferts distributifs mais aussi la politique d’aménagement du territoire y sont particulièrement porteurs de soutien et sont d’une extrême sensibilité dans les facteurs d’inclusion des citoyens. Le premier niveau d’inégalité étant l’inégalité sur les revenus primaires (avant impôts et transferts), la priorité est donc la lutte contre le chômage, le travail insuffisamment rémunérateur et le partage de la valeur au sein des salariés.

Préconisations :

  • Intensifier la lutte contre l’évitement fiscal et chercher des solutions communes européennes.
  • Préserver la capacité d’autofinancement des entreprises et améliorer l’accès des TPE-PME au financement.
  • Maîtriser les prix de l’immobilier.
  • Lutter contre le chômage et améliorer les conditions des travailleurs insuffisamment rémunérés.

Des enjeux de transitions numériques, écologiques et modèle de travail encore trop faiblement pris en compte

La transition numérique est encore peu intégrée au processus de transformation des entreprises, et la mesure des impacts tant sur les transformations des métiers futurs que sur les mutations des secteurs de l’économie est difficilement prévisible. Par ailleurs, on pressent que les prérequis indispensables des individus y compris à titre personnel, en termes de compétences techniques et cognitives sont insuffisantes et si ces écarts sont déjà perceptibles, ils ne sont pas encore suffisamment dimensionnés (l’indicateur de niveau de vie pour les ménages, ne comprend pas encore l’accès au numérique, la détention d’un poste mobile ou fixe, ...). Ces transformations ne passent pas que par les « d’outils » mais aussi par des modes de travail plus collaboratifs et adaptatifs. Pour autant la France bénéficie d’infrastructures, d’une densité territoriale, devant lui permettre de se saisir profitablement de nouvelles politiques d’investissements publiques (Recherches notamment). Par ailleurs notre retard en termes d’empreinte carbone des produits importés, nous oblige à revoir nos processus et sont autant de sources de richesses futures.

Préconisations :

  • Revoir la stratégie de recherche en associant l’ensemble des parties prenantes, et élaborer des sous-indicateurs sectoriels en lien avec une démarche d’évaluation des politiques publiques de recherche.
  • Intégrer les innovations quant aux « structures sociales et organisation des parcours professionnels permettant d’assurer à chacun les risques qui peuvent survenir ».
  • Encadrer juridiquement l’activité numérique afin de garantir revenus et droits sociaux de qualité.
  • Faire de l’empreinte carbone un véritable outil d’aide à la décision publique.